Minibus News 4

Voici le texte de Julien, récit chargé d'humanité et  écrit après les 2 allers et retours à la frontière polonaise.
D Mazingarbe


Cher Dominique, cher administrés Vanoscois.es,


Il est un mot russe – тоска – qui exprime parfaitement l’état moral général dans lequel les
peuples slaves semblent évoluer. Il s’agit d’une forme de mélancolie, de pesanteur, comme une
seconde gravité renforçant l’attraction terrestre. Un pas avec la « тоска » chevillé au corps c’est
l’inverse d’un bond sur la Lune. En réalité, c’est un pas dans un roman de Dostoïevski. J’évoque ce
terme car la « тоска » confère aux slaves de mon cœur leur apparente « distance ». D’une certaine
façon je crois que ce sentiment habitera ce texte et ceux qui pourraient suivre.
J’écris ces lignes depuis le centre d’hébergement temporaire du Grand Mûrier. Aujourd’hui
52 réfugiés ukrainiens sont arrivés à Annonay. Douze d’entre eux ont repris la route, direction
Darbes, après le repas de midi.
Il règne un calme et une forme d’apaisement qui contraste avec le chaos duquel s’extirpent
ceux qui m’entourent. Depuis leurs villes de résidence, la route des exilés se pave de paix à mesure
qu’ils se rapprochent de notre belle Ardèche. Je suis heureux de constater que nos centres
d’hébergement temporaire ne sont pas des gymnases ou des centres commerciaux réquisitionnés.
Pour laisser se déverser le chagrin qui abonde, il faut bercer de douceur celles et ceux qui le
portent. Pour espérer que les enfants recouvrent la candeur qui les sublime, il faut des oiseaux qui
chantent à la place des bombes qui sifflent, un ciel bleu plutôt qu’envahi par des colonnes de
fumées noires.
J’écris, vous le comprendrez vite à la lecture, sans plan prédéfini et surtout sans envisager
une vraie relecture. Aussi le texte vous paraîtra peut-être décousu et la forme peu raffinée.
Malheureusement, si l’écriture est un exercice que j’affectionne, je ne parviens pas aujourd’hui à
m’octroyer le luxe du style. J’écris simplement pour caractériser le soutien que vous apportez à
l’association URA, pour exposer la façon dont nous pétrissons votre soutien afin de le matérialiser
en aide concrète, tangible et directe à destination du peuple ukrainien.
Lors notre premier convoi, rendu possible par le véhicule de votre commune, nous avons
transporté une vingtaine de personnes. Une famille de six personnes s’est installée avec
Emmanuelle et moi dans le minibus vanoscois. Mariia, l’une des deux mamans, est avocate, elle
s’exprime dans un anglais excellent qui m’offrait plus de repos que la communication en russe.
Tamara, la mère de Mariia est une femme dont la beauté n’a d’égale que la dignité. Le menton haut,
le buste droit et un sens aigu (certainement aiguisé par la guerre) de la protection. L’enfance perle
encore sur les contours du visage d’Arina lorsque ses pommettes s’arrondissent pour sourire. Elle
est l’aînée de Mariia. Téméraire joueur de foot quoique mauvais perdant, Sacha (Aleksandr de son
prénom) est le second enfant de Mariia. Quant à elle, Solomia a emporté dans son petit cartable
autant de vêtements que pouvait le supporter son dos d’enfant de 5 ans.
Reste Natalia, la belle mère de Mariia et la maman de Solomia. C’est elle qui a impulsé le
départ de toute la troupe. Lorsque l’armée russe a attaqué la centrale nucléaire de Zaporijia elle a
paniqué et a préparé une valise de 50*35*25 pour emballer sa vie. Il faut être rudement sélectif
pour ranger 51 ans dans un volume d’une trentaine de litres.

Cette famille dont je narre une partie du périple n’était que de passage en Ardèche.
Pourtant, leurs visages se gravent et leur histoire s’installe dans mon esprit. Surtout la frimousse
de Sacha. Sacha dont le père n’a pas demandé de nouvelles depuis 3 ans et ne s’est pas plus
préoccupé de savoir s’il était en vie après que la guerre ait éclaté. Sacha dont les dessins montrent
des tanks écrasant des tombes sous un déluge de bombes. Sacha dont d’autres dessins encore
montrent des soldats qui tirent sur des tas de cadavres.Sacha dont le corps a été piétiné sur un quai de gare par d’autres réfugiés qui souhaitaient monter dans un train pour l’ouest à sa place. La guerre est une sorcière, elle transforme même ses victimes en bêtes immondes. Sacha qui s’est pris la guerre en pleine face, sous forme de semelles de chaussures. Mon petit Sacha. Sacha dont on a violé l’innocence de l’enfance. L’enfance, à vouloir recoller les fragments de la sienne j’ai définitivement abandonné les ruines de la mienne. Voilà un morceau de l’aide que nous apportons avec votre soutien.

Alors pour Sacha, Solomia, Natalia, Mariia, Tamara, Volodymir, Anzhelika, Elena, Wladislava, Nikolaï, Iryna, Igor, Natalia, Olena, Youstina, Marko, Sofya, Antonov, Alina, Glib, Maksym, Olga, Elena, Vika, Olga, Kateryna, Aelita, Yevhenii, Olesia, Sofiia, Oksana, Tetiana, Mikola, Elina,

MERCI. Julien Bruyat, Annonay, le 25.03.22